Toutes mes journées défilent tellement vite que j’ai franchi le mur du son un paquet de fois.
Souvent, sur un coup de folie, que dis-je, de vacuité totale, je me vautre dans le sofa, usée par mon rythme infernal du jour. J’allume ma tablette. Les sollicitations sont innombrables. Internet le diabolique me donne 30 bonnes idées de trucs totalement indispensables dont je n’avais absolument pas besoin, ou du moins pas tout de suite. Mais c’est trop facile : je clique, je paie, je vais me coucher, je fais de beaux rêves, on prépare mon colis. Je m’assieds gentiment sur mon empreinte carbone et je commande frénétiquement.
Bouquins d’occase pas chers, fournitures de scrapbooking, crème peau douce et baume à lèvres bio. Bravo, presque sans faute. Sauf que tout ça vient du bout du monde : 3000 kilomètres en avion, 290 en camion de livraison et 27 dans celui du monsieur de la Poste. Comble du comble, j’ai commandé mes jolis coussins sur la boutique en ligne de ce grand magasin, qui se trouve à 3 kilomètres de chez moi. Parce que trop la flemme d’y aller, parce que rendez-vous compte il y a des gens dans le magasin, et les gens, ça prend de la place, mon oxygène et puis ça n’avance pas dans les rayons. Sauf que mes achats seront expédiés depuis un entrepôt juste deux pays plus loin.
J’en ai soudain la tête qui tourne. Je ne sais finalement pas qui fabrique tout ça, ni où, ni comment. Je commence à penser qu’il est fortement possible que cette production de masse se fasse au grand détriment d’autres êtres humains sous-payés. Et que ces industriels humanistes ont sûrement du encadrer leurs merveilleuses préoccupations environnementales, à l’envers, à la cave, face contre le mur.
La course à la consommation, tout avoir, et tout de suite, à quoi ça rime, au juste ?
Où se situe réellement mon bonheur ?
A mon avis, certainement pas dans le truc irrésistible que je viens de mettre dans mon panier virtuel et que, versatilité de la mode ou obsolescence programmée oblige, je devrai remplacer par sa nouvelle version dans 3 mois.
Animée par un nouvel élan, j’emmène mon marmot à pied à la ferme de monsieur Raymond. J’achète des carottes qui viennent du bled d’à côté, des œufs de petites poulettes que je peux d’ailleurs voir en train de caqueter en plein air, et madame Raymond me refile en prime un pot de confiture maison. Un peu de baume au cœur.
Je tente la grande aventure dans les rayons mystérieux de la boutique bio du quartier. Pas découragée par les chants d’oiseaux cristallins en musique de fond, ni par l’odeur d’huiles essentielles censée m’ouvrir les chakras à pleins tubes, je tends mon baume à lèvres, mon jus d’aloé vera et mes sacs krafts remplis de graines en vrac à la petite caissière en tablier vert, qui a des mignonnes taches de rousseur et des airs de petit elfe égaré. Encore plus de baume au cœur.
Qu’importe la manière, l’important c’est de se conscientiser un peu et de commencer quelque part.
Oui, on est tous habités de contradictions.
Oui, on frôle la schizophrénie quand on essaie de faire de notre mieux pour réduire notre impact environnemental dans la société actuelle.
L’envie de consommer facile et rapide, elle tiraille, elle démange, et c’est une habitude dont il n’est pas simple de se défaire. Prendre le temps de raisonner une compulsion d’achat, renoncer à l’exotisme et trouver un produit de remplacement plus local, grouper sa livraison avec d’autres personnes, accepter de payer une éco-livraison qui compense son bilan carbone par une action écologique, ça fait appel à des compétences un peu désuètes, qu’il faut réapprendre à cultiver : la patience, et le bon sens. Pour juste consommer moins, et mieux.
La prochaine fois, je vous explique de quelle planète vient vraiment la caissière du magasin bio (en vrai, c’est pas un elfe).
1 commentaire
Je note : l'important, c'est de commencer quelque part. Et à chacun de trouver son quelque part. Moi, je vais à la librairie. Je trouve les livres que je veux, sinon la libraire me les commande et, découverte inattendue, je rencontre à chaque fois d'autres gens qui, comme moi, aiment les livres, les lire vraiment et en parler. Magique, non ?
Xavier